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L’Etat et ses monopoles : Une mainmise inutile ?

 

Plus de 50% des secteurs économiques et commerciaux en Tunisie sont assujettis à des restrictions. Les rapports de la BM dénoncent l’omniprésence de l’Etat dans pratiquement tous les secteurs d’activité économique. Pire, l’Etat contrôle des entreprises dans divers sous-secteurs de production et services, tels que les hôtels, restaurants et autres activités commerciales. Des activités qui n’ont aucun lien avec le rôle social de l’Etat.

Tabac, produits alimentaires, transport, électricité et bien d’autres secteurs sur lesquels l’Etat exerce son monopole, sauf qu’il a du mal à tout gérer,  accusant des pertes colossales tout au long de ces dernières décennies. La crise qui perdure liée à l’importation des produits alimentaires subventionnés démontre une fois  de plus que le système monopoliste a montré ses limites pour ne pas dire qu’il est totalement agonisant. Question : l’Etat est-il appelé à tout administrer ? Décryptage.

Des secteurs d’activité sont soumis à un monopole exclusif tels que l’électricité, le tabac, l’importation de produits alimentaires dont le sucre et le café. Des domaines d’activité verrouillés de façon telle qu’ils ne sont pas ouverts à l’économie de marché, la liberté d’investir aux  politiques de la concurrence.

Une autopsie des entreprises publiques montre bien que la plupart sont mal gérées, déficitaires avec des dettes abyssales qui pénalisent les comptes publics.  Commençons par  la Régie nationale du tabac et des allumettes (Rnta), qui détient le monopole de la production et de la commercialisation du tabac, des allumettes et des jeux de cartes en Tunisie. Ses dettes ont atteint 590 millions de dinars (MDT) en 2021, alors que les investissements mobilisés étaient faibles (4,3 MDT).  

Selon les derniers chiffres officiels, sur un total de 111 entreprises publiques en Tunisie, 81 ont connu, en 2020, des résultats nets consolidés négatifs estimés à – 2.455,26 millions de dinars tunisiens (MDT) contre – 177,93 MDT en 2019, soit une aggravation de 2 277,33 MDT correspondant à 1 280%. Des chiffres qui donnent le vertige et expliquent des défaillances systémiques.

Selon la Banque mondiale, plus de 50% des secteurs économiques et commerciaux en Tunisie sont assujettis à des restrictions. Les rapports de la BM dénoncent l’omniprésence de l’Etat dans pratiquement tous les secteurs d’activité économique. Pire, l’Etat contrôle des entreprises dans divers sous-secteurs de production et services, tels que les hôtels, restaurants et autres activités commerciales. Des activités qui n’ont aucun lien avec le rôle social de l’Etat.

« L’Etat doit protéger les secteurs hautement stratégiques comme la santé et la sécurité »

Bien identifié sous l’étiquette de mauvais gestionnaire, l’Etat tunisien n’a pas changé de modèle en dépit des grosses pertes qu’il ne cesse d’encaisser et ce, depuis les années 70. L’Etat impose le monopole partout, même dans des secteurs non stratégiques. Pour quelles raisons ?

L’ancien ministre du Commerce, Mohsen Hassen, répond. Selon lui, bien que ces monopoles soient un lourd héritage dont il est difficile à de se débarrasser, on peut expliquer cette situation par des intérêts particuliers des lobbies qui veulent maintenir le statu quo. Selon lui, les cartels ne prospèrent pas uniquement dans le privé, mais frappent de plein fouet également le secteur public.  Il s’interroge : « Je ne comprends pas la présence de l’Etat partout et dans tous les secteurs. Maintenir ce modèle obsolète n’a plus de sens. D’ailleurs, il faut admettre que l’Etat est le premier rentier. Les verrous, les monopoles, les cartels et les lobbies existent aussi dans le secteur public et c’est ce qui explique cet état de fait », analyse-t-il. Mohsen Hassan estime que l’Etat doit protéger uniquement les secteurs hautement stratégiques comme la santé et la sécurité et partiellement le transport, et doit libéraliser les autres secteurs.

Pour ce qui est  de l’importation des produits de première nécessité, l’ancien ministre  appelle à libérer ces activités et les ouvrir au secteur privé, dans la mesure où l’Etat a évidemment échoué. « L’Etat doit jouer un rôle de régulateur et de garant de la sécurité alimentaire ». Et ajoute : « Le monopole de l’Etat s’explique par les participations publiques qui remontent à la première décennie de l’indépendance. Ce monopole maintenu à perte dans les secteurs concurrentiels découle de  visions dépassées  et carrément irrationnelles », regrette-t-il. Et d’appeler à une fusion des établissements et offices publics chargés des importations. Notre interlocuteur préconise la création  d’une sorte de holding d’Etat avec une nouvelle capitalisation et fonctions.

C’est le contribuable qui paye au final

Pour sa part, le directeur général du Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales, Ridha Chkoundali, estime que les entreprises publiques, y compris celles qui exercent ce monopole, ne remplissent plus leurs missions de soutien aux efforts de l’Etat, pour présenter des services sociaux corrects aux Tunisiens. « Prenons l’exemple de la Steg, elle est financée par l’Etat donc par le contribuable, de ce fait, les citoyens sont acculés à payer l’électricité et financer son déficit budgétaire », dénonce-t-il.

Pour remédier à cette situation, Chkoundali appelle à la refonte  de tout le modèle de développement en Tunisie. Il faut penser à la privatisation de certains secteurs, tout en préservant le rôle social de l’Etat. « Si le privé fait mieux, pourquoi l’Etat opte-t-il pour ce statu quo  et pourquoi cet acharnement ? Il faut changer le modèle de développement, en maintenant des attributions liées  à la justice sociale et à la lutte contre la corruption. Tout le système doit changer, c’est une nécessité et non pas un vœu pieux », conclut-il.

 Dans ses différents rapports, la Banque mondiale souligne que ces obstacles à la concurrence sont au cœur du système de clientélisme, et d’exclusion sociale qui accable la Tunisie. « L’environnement économique de la Tunisie n’est cependant pas fondé sur la concurrence. Ce n’est pas un environnement dans lequel les entreprises les plus productives peuvent réussir, croître et créer des emplois. Une raison clé pour le statu quo est l’absence d’un environnement concurrentiel dans lequel les entreprises qui réussissent à prospérer et à croître, et que les entreprises les moins productives sont finalement poussées hors du marché et les ressources qu’elles utilisent sont facilement réaffectées vers de nouvelles activités plus productives. Ceci est en grande partie le résultat d’un environnement réglementaire qui ne soutient pas la concurrence et est au contraire basé sur les restrictions à l’accès ». 

Résultat des courses : non seulement l’Etat  maintient le monopole, à perte. De plus, il joue mal son rôle social, faute de moyens. De surcroît, et paradoxalement, il s’est retrouvé à encourager les lobbys et autres rentiers qui profitent du système actuel, le gangrènent de l’intérieur et bloquent tout changement. Or, l’heure d’un réel changement a bien sonné.

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